Poser la question de l’actualité des concepts d’aliénation et d’émancipation implique que l’on prenne acte des raisons ayant conduit à ce qu’ils soient souvent considérés comme périmés dans le champ des sciences humaines et sociales de ces vingt dernières années. Les discours de déconsidération de ces deux concepts s’appuient principalement sur deux types d’arguments : le premier consiste à présenter l’aliénation et l’émancipation comme deux concepts datés, forgés soit pour décrire les effets d’une organisation du travail, de modes de vie et de consommation qui n’auraient plus de points communs avec la situation économique, sociale et culturelle actuelle, soit pour formuler des aspirations politiques rendues inadéquates par de récentes évolutions. Le second argument invoqué souligne l’inefficacité critique des deux concepts qui auraient été avantageusement remplacés par un nouveau matériel conceptuel, remplissant les mêmes fonctions critiques sans pour autant avoir les mêmes défauts ou limites.
Un des objectifs premiers de notre laboratoire junior est dès lors de remettre à plat les questions de fond implicitement évacuées ou réduites par ces discours de déconsidération : ainsi, l’indiscutable évolution des structures économiques et sociales au cours des trois dernières décennies implique-t-elle nécessairement l’invalidation du concept d’aliénation ou plus simplement sa redéfinition ? L’accession des minorités à des statuts juridiques plus satisfaisants permet-elle de solder définitivement la problématique de l’émancipation ? Ces questions et d’autres encore se retrouvent en une, plus synthétique : y a-t-il un apport conceptuel irréductible et propre aux catégories d’aliénation et d’émancipation leur conférant un potentiel de description et d’évaluation de situations et de pratiques contemporaines ?
Il nous paraît nécessaire d’envisager trois objectifs méthodologiques généraux en réponse aux interrogations que nous venons de formuler :
isoler l’apport conceptuel spécifique aux catégories d’aliénation et d’émancipation en questionnant le rapport entre ces concepts et de nouveaux concepts voisins tels que l’invisibilité (Olivier Voirol), la dépossession (Emmanuel Renault, Stéphane Haber), le consentement ou la servitude volontaire (Christophe Dejours), l’intériorisation, la subordination ou l’empowerment (tel que défini par la critique féministe et anticolonialiste), la désubordination. L’hypothèse que nous formulons à titre de point de départ pour nos activités est la suivante : la pertinence et la souplesse des catégories d’aliénation et d’émancipation, ayant assimilés les critiques fondamentales (althussérienne et foucaldienne en particulier) qui leur ont été adressées depuis les années 1970, en font les points de départ d’un champ critique très actif aujourd’hui.
évaluer si les concepts d’aliénation et d’émancipation, séparément ou conjointement, permettent de rendre compte de certaines situations sociales contemporaines (formes nouvelles de souffrance au travail, grande exclusion) et de certaines formes d’action inédites (des interventions en entreprises des psychologues du travail aux nouvelles formes d’éducation populaire en passant par les collectifs « antipub » et/ou antipublisexistes) ainsi que de luttes actuelles (luttes ouvrières ayant pour origine la remise en cause des conditions de travail).
indiquer les points de passage possibles entre les théories renouvelées de l’aliénation et de l’émancipation.